Note FNTR : Canicule et application du droit du travail

 

 

1 – Quelle est la définition d’une période de canicule ?

Préalablement à la présentation des principes devant guider l’entreprise, il importe de définir la notion même de canicule. La canicule est un épisode de forte chaleur estivale d’au moins 3 jours consécutifs durant lequel les températures sont plus élevées que la normale le jour, mais aussi et surtout la nuit.

Dans des conditions de canicule, l’exposition à la chaleur peut être à l’origine de troubles sérieux chez les individus, notamment les plus fragiles (déshydratation, épuisement thermique, coup de chaleur, etc.). La lutte contre la déshydratation est extrêmement importante : en effet, ces situations peuvent conduire à des malaises de salariés (sédentaires ou conducteurs) ainsi qu’à une moindre capacité à rester vigilant sur la route.

2 – Quelles sont les obligations de l’employeur en période de canicule ?

De manière générale, il appartient à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et la santé des salariés. Cela implique qu’il agisse le plus en amont possible, qu’il évalue les risques professionnels et qu’il informe des mesures qu’il prend.

Il doit également adapter ses mesures en fonction de l’évolution de la situation (par exemple lors d’une hausse brutale des températures).

En outre, lorsque le Comité social et économique existe (dans ses attributions liées à l’hygiène et la sécurité au travail), ou le, le cas échéant, la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), peut émettre des recommandations en cas de fortes chaleurs (décalage des horaires, réorganisation des chantiers…).

Le Code du travail ne donne aucune température au-delà de laquelle il n’est plus possible de travailler. La loi ne comporte ainsi aucune disposition permettant aux salariés de ne pas venir travailler lorsque les températures sont trop élevées.

Pour autant, un décret du 27 mai 2025 a introduit de nouvelles obligations en matière de prévention pour l’employeur. Ces dispositions s’appliqueront dès le 1er juillet 2025. L’objectif est de protéger les salariés contre les risques liés à la chaleur, tels que :

  • La dégradation des conditions de travail,
  • Les accidents du travail,
  • La fièvre,
  • La migraine,
  • Les crampes,
  • La déshydratation, les coups de chaleur…

 

Un arrêté du 27 mai 2025 définit plusieurs seuils de vigilance météorologique fixés par Météo-France :

  • Vigilance verte : veille saisonnière sans vigilance particulière ;
  • Vigilance jaune : pic de chaleur (exposition sur une période de 1 à 2 jours à une chaleur intense présentant un risque pour la santé humaine en raison des conditions de travail ou de leur activité physique) ;
  • Vigilance orange : période de canicule (chaleur intense et durable susceptible de constituer un risque sanitaire pour l’ensemble de la population exposée) ;
  • Vigilance rouge : période de canicule extrême (canicule exceptionnelle par sa durée, son intensité, son ampleur géographique qui présente un fort impact sanitaire pour l’ensemble de la population ou qui pourrait entraîner l’apparition d’effets collatéraux de continuité d’activité).

Un «épisode de chaleur intense» correspond à l’atteinte du seuil des niveaux de vigilance jaune, orange ou rouge.4

 

3 – La canicule constitue-t-elle juridiquement une «intempérie» ?

La notion d’intempérie est aujourd’hui définie par la loi. En effet, l’article L5424-8 du Code du travail précise que «sont considérées comme intempéries, les conditions atmosphériques et les inondations, lorsqu’elles rendent dangereux ou impossible l’accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir».

La Cour de cassation a en outre déjà eu l’occasion de préciser que «la notion d’intempéries ne se réduit pas aux conditions atmosphériques anormales, mais s’entend des circonstances extérieures qui rendent effectivement impossible l’accomplissement du travail compte tenu de sa nature» (Cour de cassation chambre sociale 8 juillet 1997, pourvoi n°95-12870).

Il ne fait pas de doute que les épisodes dits de canicule constituent juridiquement des intempéries.

 

4 – De quelle manière les entreprises peuvent-elles mettre en œuvre leurs obligations ?

Le décret du 27 mai 2025 énumère une liste de mesures que l’employeur doit prendre afin de lutter contre les épisodes de chaleur intense :

  • Utilisation de procédés de travail ne nécessitant pas d’exposition à la chaleur (ou nécessitant une exposition moindre),
  • Modification de l’aménagement et de l’agencement des lieux et postes de travail,
  • Adaptation de l’organisation du travail (comprend les horaires de travail) pour limiter la durée et l’intensité de l’exposition. Des périodes de repos peuvent être prévues,
  • Mise en œuvre de moyens techniques pour réduire le rayonnement solaire sur les surfaces exposées ou pour prévenir l’accumulation de chaleur dans les locaux de travail (exemples : pare-soleil, ventilateurs, brumisateurs…),
  • Augmentation, autant que possible, de l’eau potable fraîche mise à disposition des travailleurs. L’employeur doit fournir aux salariés une quantité d’eau potable fraîche suffisante et prévoir un moyen pour maintenir au frais l’eau destinée à la boisson à proximité des postes de travail,
  • Choix d’équipements de travail appropriés permettant de maintenir une température corporelle stable (quel s’agisse de véhicules lourds ou légers, l’existence de systèmes de climatisation est à préconiser autant que possible, la question du refroidissement des véhicules de livraison constituant ici un enjeu de santé au travail),
  • Fourniture d’équipements de protection individuelle permettant de limiter ou de compenser les effets des fortes températures ou de se protéger des effets des rayonnements solaires,
  • Information et formation adéquates des travailleurs, d’une part, sur la conduite à tenir en cas de forte chaleur et, d’autre part, sur l’utilisation correcte des équipements de travail et des équipements de protection individuelle de manière à réduire leur exposition à la chaleur à un niveau « aussi bas qu’il est techniquement possible ».

Dans la mesure du possible, les entreprises sont invitées à favoriser de courtes pauses lorsque les personnels de conduite l’estiment nécessaires durant ce type de périodes (au-delà des pauses et repos légaux).

 

5 – Le salarié peut-il fonder l’exercice du droit de retrait sur un épisode de forte chaleur ou une période de canicule ?

  1. A) Le droit de retrait du salarié : de quoi s’agit-il ?

Le droit de retrait repose sur les articles L4131-1 et suivants du Code du travail qui prévoient les conditions et les protections associées à l’exercice de ce droit.

L’article L4131-1 du Code du travail énonce : «Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

 L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection».

Le salarié ayant un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé peut quitter son poste de travail ou refuser de s’y installer.

Ce dispositif s’apprécie subjectivement du point de vue du salarié. En effet, le salarié n’a pas à prouver qu’il y a bien un danger, mais doit se sentir menacé par un risque de blessure, d’accident ou de maladie, en raison par exemple d’une installation non conforme ou encore de l’absence d’équipements de protection individuelle.

C’est bien au salarié d’apprécier au regard de ses compétences, de ses connaissances et de son expérience si la situation présente pour lui un danger «grave» et «imminent» pour sa vie ou sa santé.

La notion de gravité signifie que le danger doit être une menace pour la vie ou la santé du salarié, résultant par exemple d’une machine non conforme susceptible de le blesser. L’imminence signifie pour sa part que le risque est susceptible de survenir dans un délai rapproché. Il importe peu que le dommage se réalise immédiatement ou progressivement, du moment qu’il puisse être envisagé dans un délai proche.

L’appréciation des risques liés aux fortes chaleurs se fait au cas par cas. En fonction du secteur dans lequel le salarié travaille, les fortes chaleurs sont plus facilement supportables et l’exercice du droit de retrait n’est pas forcément justifié.

  1. B) Quelles sont les situations de travail pouvant justifier l’exercice par le salarié de son droit de retrait ?

L’origine du danger peut être diverse : une ambiance de travail délétère, un processus de fabrication dangereux, un équipement de travail défectueux et non conforme aux normes de sécurité, un risque d’agression, l’absence de protection…

Le droit de retrait a notamment été considéré comme justifié pour un salarié chargé de conduire un camion de chantier dont les freins étaient défectueux, ou bien, dans une autre affaire, pour un salarié chargé de nettoyer des voitures dans un atelier où la température avoisinait les 3 °C.

Le danger doit toutefois présenter un certain degré de gravité. A titre d’exemple, le salarié qui quitte son bureau sans autorisation et s’installe dans un autre local au motif que les courants d’air dont il se plaint présentent un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ne justifie pas son droit de retrait.

Les exemples jurisprudentiels sur la question du droit de retrait sont nombreux. Il convient toutefois d’être vigilant à ne pas en faire de généralités dans la mesure où chaque solution retenue par les juges dépend pour chaque affaire des circonstances de fait.

Exemples :

Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 16 janvier 1992, n° 91/34223 : un salarié était chargé de conduire un camion de chantier dont les freins sont défectueux : l’exercice de son droit de retrait a été jugé justifié.

Arrêt de la Cour d’appel de Douai, 20 avril 2012 N° 11/01756 : un salarié était chargé de nettoyer des voitures dans un atelier dont la température tournait autour de 3 °C : l’exercice de son droit de retrait a été jugé justifié.

Arrêt de la Cour de cassation, Cass. soc., 10 mai 2001, pourvoi n° 00-43437 : un chauffeur de bus avait refusé de conduire un autobus dont il estimait que la direction était trop dure et la suspension trop souple, alors que le médecin du travail l’avait seulement déclaré apte à la conduite de véhicules à la direction souple : l’exercice de son droit de a été considéré comme étant justifié).

Illustration pour un personnel sédentaire : Un salarié occupe un poste de préparateur de commandes, dont le rythme est intense, dans un entrepôt dans lequel la température intérieure dépasse 33 degrés et dans lequel il n’y a ni climatisation, ni ventilation. Son employeur ne met pas d’eau à sa disposition. Les risques de malaises et de perte de connaissance sont élevés. Il existe potentiellement un danger grave et imminent pour sa santé. Malgré l’alerte donnée à son employeur, celui-ci n’a pris aucune mesure particulière. En l’espèce, le recours par le salarié à son droit de retrait peut être justifié.

Illustration pour des personnels de conduite : Constitue un motif raisonnable justifiant l’exercice de son droit de retrait par le salarié la défectuosité du système de freinage du camion de l’entreprise, alors qu’après l’interdiction de circulation émise par le service des mines, l’employeur était tenu de présenter le véhicule à une contre-visite afin que ce même service des mines puisse garantir l’intégralité des réparations effectuées. En attendant ce nouveau contrôle, le salarié était en droit de penser que la conduite de ce camion présente un danger grave et imminent pour sa vie, les tiers, ainsi que le matériel de l’entreprise. Le licenciement fondé sur le refus de conduire le véhicule était dès lors sans cause réelle et sérieuse (arrêt de la Cour d’appel de Montpellier, 30 avril 1998).

  1. C) Un conducteur routier peut-il valablement exercer son droit de retrait en invoquant la chaleur excessive associée au fait que le véhicule ne soit pas adapté (ex : absence de climatisation) ?

La question n’est évidemment pas tranchée par la réglementation et, à date, elle ne l’est pas par la jurisprudence.

Il n’existe pas, formellement parlant, d’obligation d’équiper les véhicules professionnels de systèmes de climatisation. Pour autant, en application des dispositions évoquées au point 4 de la présente note, la mise en œuvre de dispositifs de climatisation dans les véhicules constitue indiscutablement un outil de prévention du risque professionnel lié aux périodes de canicule.

Si, dans une entreprise de transports routiers, plusieurs véhicules sont équipés de systèmes de climatisation, et qu’en période de canicule, l’un des conducteurs conduit un véhicule qui n’est pas équipé d’un tel système, il est en droit de s’interroger sur la raison de l’absence d’équipement.

L’employeur doit impérativement tenter de proposer au salarié concerné des possibilités d’aménagement de son poste de travail :

  • Soit, si cela est possible, en l’affectant sur une autre tournée, dans un lieu qui serait moins exposé à la zone de canicule ou de chaleur intense ;
  • Soit en tentant de proposer au salarié un aménagement de ses horaires de travail (horaires décalés) de façon à faire en sorte à ce qu’il soit moins exposé aux risques liés à la chaleur ;
  • Soit, dans la mesure du possible, en proposant un roulement entre salariés à travers l’utilisation alternée des véhicules dotés de systèmes de climatisation ;
  • Soit, si, là encore, l’option peut être envisagée, en l’affectant momentanément à un autre poste de travail au sein de l’entreprise.

Si un employeur formule diverses propositions d’aménagement du poste de travail ou d’équipements des véhicules, crédibles et toutes refusées par le salarié, il y a certainement moins de risque que le retrait du salarié soit considéré comme relevant de l’exercice justifié du droit de retrait (ou en tout cas que la persistance du salarié soit considérée comme légitime).

Si l’employeur n’est pas, en revanche, capable de formuler des propositions alternatives crédibles, il existe de forts risques que le droit de retrait du salarié soit jugé fondé en cas de contentieux.

  1. D) Quelles sont les conséquences de l’exercice valable par le salarié de son droit de retrait ?

Le salarié qui fait jouer son droit de retrait ne peut pas pour autant rentrer chez lui et doit rester à la disposition de son employeur. Celui-ci peut alors l’affecter temporairement sur un autre poste correspondant à ses compétences, le temps de prendre les mesures de prévention adaptées et de lui donner les instructions nécessaires pour lui permettre de reprendre son activité.

Lorsque l’employeur considère qu’il n’existe plus de danger grave et imminent, il peut alors ordonner au salarié de retourner à son poste de travail.

Aucune sanction, ni aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux.

Le salarié peut toutefois être sanctionné si les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies ou si son comportement peut s’analyser en une insubordination ou un acte d’indiscipline.

Enfin, le droit de retrait doit être exercé de telle sorte qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent. Si l’exercice du droit de retrait cause un dommage à un tiers, le salarié fautif pourra être sanctionné, sur le plan disciplinaire, mais également sur le plan pénal.

6 – La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport (CCNTR) contient-elle des dispositions spécifiques à la canicule ?

Non. Mais la CCNTR comporte en son article 10 bis des dispositions communes des dispositions portant sur les intempéries (or les périodes de canicule peuvent relever de ce champ d’application). Les dispositions n’envisagent cependant que la question du maintien de rémunération au salarié et des modalités afférentes en cas d’intempéries.

L’objet des dispositions conventionnelles, telles qu’elles existent actuellement, ne consiste pas à fixer un cadre général relatif aux intempéries, ni à évoquer les problématiques de santé/sécurité qui peuvent y être litées.

ARTICLE 10 BIS – ARRETS DE TRAVAIL CONSECUTIFS A DES INTEMPERIES

Les arrêts de travail consécutifs à des intempéries dûment constatées par les services des directions départementales de l’équipement donnent lieu à une indemnisation dans les conditions suivantes.

a – Le salarié contraint, au cours d’un voyage, de rester sur place avec son véhicule bénéficie du maintien de sa rémunération habituelle et du versement des frais de déplacement dans les conditions fixées par le protocole joint à la présente convention ;

b – L’employeur contraint de ne pas faire rouler ses véhicules doit, pour chaque journée d’arrêt de travail, verser au salarié :

  • Qui n’aurait pas été affecté, pour la durée des intempéries, à un emploi temporaire dans les conditions fixées à l’article 4.1 de la présente convention ;
  • Ou qui n’aurait pas de droits acquis à faire valoir en matière de repos compensateur, une indemnité correspondant à la rémunération de huit heures de travail effectif.

Dans le cas où la durée de la journée de travail qu’aurait dû effectuer l’intéressé est inférieure à huit heures, l’indemnité visée ci-dessus est calculée en fonction de cette durée.

Les heures ainsi indemnisées ne sont pas décomptées comme temps de travail effectif.

c – Les entreprises admises au bénéfice du chômage partiel doivent assurer à leurs salariés une indemnisation globale équivalente à celle définie au paragraphe b du présent article.

 

Source : FNTR : https://acrobat.adobe.com/id/urn:aaid:sc:EU:7f318ce2-57ae-4e4a-a202-0937fe928e3b

Paris, le 04 juillet 2025